Dans un pays connu pour prêcher l’abstinence à ses ouailles, du côté de Friends Of Noise, on a décidé de récompenser la persévérance. L’objectif de l’association est de donner les moyens aux jeunes, spectateurs ou artistes, de jouir de la musique.

Du fait des lois sur l’alcool, il est ainsi interdit à tout un pan de la population, celles et ceux qui ont moins de 21 ans, d’accéder à la majorité des salles de concerts américaines. Inimaginable de notre côté de l’Atlantique où c’est souvent dès le lycée, l’âge des week-ends en festival en général bien arrosés, comme l’attestent les “Apéro !” lancés toutes les 3 minutes entre des tentes 2 secondes. D’ailleurs, en 2017, 6 % des spectateurs dans les salles de concerts françaises avaient moins de 18 ans.

À noter que si cette exclusion vaut pour le public, elle existe aussi pour les jeunes artistes. Un couteau à double tranchant qui devrait pousser toutes les salles de concert américaines, comme une évidence, à offrir des spectacles “all ages”. Malheureusement cela tient plus de l’exception, puisque se plier à la législation nécessite de mettre en place un contrôle des cartes d’identité à l’entrée appuyé par la pose de bracelets ou d’un tampon permettant de différencier les deux publics. Tout ça pour éviter au barman de faire la police et surtout pour rentrer dans les clous. Plus facile à gérer dans une arena ou une grande salle qu’au bar du coin, seul lieu où peut pourtant prétendre jouer un groupe d’adolescents lambda.

Dans ce contexte, comment favoriser la création musicale chez les jeunes ?

C’est à cette question à laquelle tente de répondre au quotidien Friends Of Noise (FoN) depuis que l’idée a germé entre amis en 2015. Quelques réunions plus tard, c’est en 2016 que ce qui n’était qu’une pensée devient une organisation à but non lucratif grâce au soutien de My Voice Music, PDX Pop Now, KBOO et le programme Give!Guide de Willamette Week. Une structure légale qui ne change rien à leur quête du Graal : créer un lieu culturel ouvert aux jeunes, autant pour se former que pour se produire sur scène.

Un objectif final qui passe par une lutte quotidienne, le sourire aux lèvres comme on a pu le constater par nous même lorsque nous nous sommes rendus directement à une réunion de l’association. Ce sont au cœur d’un quartier encore populaire du nord-est de Portland, dans les locaux de S1 (un centre d’art multidisciplinaire), que se déroulent ces rendez-vous. Si les murs sont loués une soirée par mois, le reste du temps FoN se fait offrir à titre gracieux l’usage de cet espace pour organiser ses réunions et proposer des formation.

André Middleton, Directeur Exécutif de Friends Of Noise

Un peu en avance, c’est André Middleton, le directeur exécutif de FoN, qui nous reçoit. Ce passionné de musique est passé maitre dans l’art de la débrouille et s’est lancé à corps perdu dans l’aventure, quittant son travail tout en continuant à s’impliquer dans la vie culturelle locale comme animateur de l’émission “Group Therapy” sur Xray FM. Un saut vers l’inconnu rendu possible grâce aux subventions du Comté de Multnomah et aux 7 465 $ de dons récoltés en octobre 2017 durant l’initiative “Give!Guide” organisée par le journal Willamette Week et qui permet à André de percevoir un maigre salaire. Dans cette vaste pièce aux allures de chantier, on est vite rejoint par quelques lycéens et étudiants, nous rappelant qu’il s’agit de la réunion du comité jeunesse.

À nos côtés, Cassie Wilson (19 ans) est fan de musique et très investie dans la scène locale. Elle aide André pour l’administration et la programmation des soirées Friends Of Noise, elle gère aussi l’association Half Access qui s’est donnée pour mission de rendre les concerts accessibles aux personnes en situation de handicap. Chloe Barker (16 ans) quant à elle est encore lycéenne mais réalise déjà les affiches des shows ainsi que les différents supports graphiques (réseaux sociaux, newsletter, site…) liés aux événements.
Enfin, Arie Finstrom, étudiante en anthropologie à Reed College a rejoint l’aventure en avril 2018 suite à une conférence tenue par André dans son université sur les façons de renforcer la communauté par les médias. En plus d’y raconter qu’il a gagné 32 000 $ en participant à Qui veut gagner des millions ? il en a aussi profité pour parler de FoN. Elle s’occupe maintenant de compiler des informations sur le public assistant aux spectacles, comme data analyst.
Ce soir-là, Liam et Lupin se joignent à la réunion. Ces deux jeunes musiciens ont connu FoN en jouant à un concert avec leur groupe. Si ils sont revenus, c’est qu’ils souhaiteraient participer d’une autre manière. Bien qu’André ne les ait pas vus depuis un an, il leur propose de mettre en place l’événement de juillet, ce à quoi les garçons répondent avec plaisir qu’ils aimeraient organisés une soirée punk. Une liberté qui vient avec des responsabilité : ils ont carte blanche mais doivent maintenant trouver les groupes et négocier leurs cachets.

Mais avant cela, on se rend au Musée des Beaux-Arts de Portland pour voir comment ça marche en live. En ce vendredi soir FoN est accueilli pour fêter le lancement de l’exposition NotMoMA. Au programme, de la poésie, de la soul, du slam, du hip-hop et une affiche aussi bien féminine que masculine. Si certains portent sur eux les marques d’un stress lié à une première performance en publique ou de l’amateurisme, d’autres semblent déjà rodés à l’exercice comme la chanteuse soul Alexis Whitney. Elle est suivie de près par son amie/photographe/publiciste qui ne manque pas une occasion d’immortaliser les mimiques de l’artiste. Sans fard, notre coup de cœur de la soirée s’appelle Miss Niki D (peut-être un hommage à la première femme signée sur le label Def Jam) dont la poésie rentre dedans mais juste sur le statut de la femme noire dans la société américaine et la présence scénique font vite oublier son jeune âge.

Pour percer en tant qu’artiste, il faut aussi réussir à se faire une place sur les réseaux sociaux. Une chose qu’a tout à fait comprise Alexis Whitney (en haut) qui se fait photographier en continue durant son set, entre deux lives sur Facebook. Une tactique qui semble porter ses fruits puisqu’elle est suivie par plus de 10 000 personnes sur Instagram.

Miss Niki D (à droite), a délivré la performance la plus poignante de la soirée.

Et si FoN est un organisme à but non lucratif, ce n’est pas pour autant que l’on y bafoue la valeur travail. Aux soirées organisées par l’association, l’entrée coûte 3 $ aux mineurs et 7 $ à ceux qui ne le sont plus, bien que personne ne serait refusé pour des questions d’argent si le problème venait à se poser. De quoi permettre à Friends Of Noise de payer les artistes, même modiquement, 35 $ pour la partie graphique (affiche et visuels pour les réseaux sociaux), 50 $ pour les jeunes groupes (pour un set de 30 minutes) et jusqu’à 200 $ pour la tête d’affiche (qui joue plus d’une heure).

La force de cette initiative vient principalement du fait que ce sont les jeunes qui s’en emparent. L’idée est de les préparer à la vie d’adulte, mais aussi pour certains à celle d’artiste. D’où l’organisation de “Music Biz Workshop”, des ateliers au cours desquels les jeunes musiciens peuvent apprendre à développer leur merchandising, rédiger un communiqué de presse et créer une relation avec les médias.
Les ateliers ne se limitent d’ailleurs pas qu’à l’artistique, on y trouve également des apprentissages techniques. Un savoir-faire que les élèves peuvent mettre à exécution rapidement car il est proposé à des entreprises pour de l’événementiel, ce qui permet d’assurer le financement des formations pour les prochains élèves. Encore mieux que le DIY, FoN donne aux jeunes la chance participer à un projet collectif, du faire ensemble.