Alors que les écoles britanniques ont depuis déjà quelques années pris le virage du Ukulélé pour enseigner la musique à leurs élèves, du côté d’Austin, un petit groupe tente lui aussi de répandre la bonne parole avec 4 cordes.

À sa tête, Neal Kassanoff, qui a conduit jusqu’à 16 classes de musiques par semaine dans les écoles maternelles d’Austin. Un travail de stakhanoviste réalisé pendant plusieurs années, dont la somme, lui a presque fait frôler le burn-out. Heureusement pour lui, une porte s’est ouverte il y a trois ans. Une solution même, le système imaginé par James Hill. Celui-ci porte le nom de son créateur, un Canadien élevé en suivant la méthode Suzuki, sensée faire de votre enfant une personne plus ouverte sur le monde et par ailleurs, un génie de la musique.

Cependant, l’univers étant rempli de violonistes virtuoses, James Hill a décidé de passer du tout au tout, c’est-à-dire à un autre petit instrument à 4 cordes, beaucoup moins compétitif : le ukulélé. Il a mis sur pied un programme permettant à tout un chacun, ou presque, de devenir professeur de musique. Ainsi, après 6 semaines vous aurez non seulement appris à jouer de cet instrument, mais aussi les rudiments nécessaires à son instruction. Un chemin qu’a suivi et continue de suivre Neal puisqu’il se rend tous les ans, en juillet, à Vancouver pour assister à un week-end de stage avec James Hill. Un savoir et des méthodes qui sont complétés le reste de l’année grâce « à des vidéos offrant toujours plus de conseils pour mieux enseigner le ukulélé » selon le Texan.

Mais son intérêt pour la musique ne se limite pas à la transmission de son savoir. Il s’est fait connaître localement en composant la BO d’un documentaire un peu fou et ayant eu un succès critique et régional. Celui-ci relate une compétition qui ne pouvait exister qu’aux États-Unis. Le principe est simple : la personne qui garde le plus longtemps sa main sur une voiture, la remporte. Pour tout comprendre, regardez la bande-annonce de Hands on a Hard Body, un OVNI aux personnages édentés, tout droit sorti des années 90.

Neal Kassanoff ukulele

Suite à cette percée dans le milieu local, Neal a pu se construire une réputation, mais pas un revenu suffisant pour payer les factures. Il a donc fallu réussir à mêler sa passion pour la musique, l’envie de transmettre et la possibilité de se créer un emploi. Voilà comment est né GroundWork en 2006, une association dont l’objectif est d’enseigner la musique à tous les enfants, indépendamment des moyens de leurs parents, à travers un programme d’éducation musicale dans des écoles de la ville. Douze ans plus tard, la structure est toujours en partie construite autour de Neal, qui en est le directeur, mais peut maintenant s’appuyer sur un travail d’équipe. Ainsi, cette organisation à but non lucratif compte un autre professeur principal, un musicien exilé à Austin, Daniel Piccuirro. La partie administrative est quant à elle dans les mains d’Amy Johnson, c’est elle qui permet à l’association de perdurer d’année en année grâce aux subventions. Au total, ce sont donc 8 personnes qui font vivre le projet, dont 7 professeurs de ukulélé.

Les cours s’adressent à 80% aux enfants issus de familles aux revenus modestes et les instruments sont en majorité fournis par l’association. Dans les autres cas, si l’école en a les moyens elle les achète directement, c’est là l’avantage d’un ukulélé, vous pouvez en avoir un pour seulement une trentaine de dollars. Un argument de poids pour des budgets serrés et de quoi ne pas faire hisser les poils des éducateurs quand un enfant maltraite celui qu’on lui a donné. Les ateliers à l’école se passent en groupes de 4 à 12 élèves et pour les plus fortunés, sous la forme de cours particuliers. Une fois l’école terminée, GroundWork propose fin juin un camp d’été pour les plus motivés, avec des bourses pour les élèves n’ayant pas les moyens de payer le ticket d’entrée, financées en partie par des dons privés.

Pour le reste, l’initiative est en grande partie rendue possible grâce au soutien financier constant du département “Parks and Recreation” d’Austin, dont les revenus viennent notamment d’une taxe hôtelière tirant parti du boom touristique et démographique que doit affronter la ville. La capitale texane connaît en effet la plus forte croissance des États-Unis. Cela n’a pas que des effets positifs, comme l’atteste la gentrification galopante dont sont victimes les quartiers auparavant pauvres d’Austin. Si cela contribue aujourd’hui à créer une mixité sociale enrichissante, cela pourrait dans le futur vider ces écoles des enfants originaires des classes populaires. Une éventuelle remise en cause du travail de l’association qui pousse Neal à envisager pour la suite « de chercher d’autres quartiers plus défavorisés et de travailler encore plus avec les professeurs ».

Il faut aussi dire que l’instrument a le vent en poupe, même chez les Britanniques, comme le racontait déjà le Guardian en 2015. Un article qui nous apprend que les écoliers anglais ont maintenant plus de chances d’apprendre avec un ukulélé qu’une flûte à bec. Un état de fait qu’aimerait bien importer GroundWork, dont l’approche va encore plus loin.

En effet, derrière ce petit instrument à quatre cordes se cache également une mentalité, une certaine idée du vivre ensemble. Ici, vous ne trouverez ni esprit de compétition ni d’enfants avec la boule au ventre avant de monter sur scène. C’est ce que l’on a pu constater en assistant au spectacle de fin d’année du programme. Se déroulant dans le George Washington Carver Center, l’évènement a réuni plus de trente enfants et autant de ukulélés sur une scène aux allures de sitcom. Une pièce de théâtre ayant lieu la même semaine que le récital, ce sont ses décors qui ont servi d’arrière-plan au concert. Pas de quoi refroidir les ardeurs de l’équipe enseignante et de ces joueurs de ukulélé en herbe.

Qu’ils soient appliqués et invités à exprimer leur talent en solo pour ouvrir le show ou alors plus heureux de taper sur leur instrument que d’en gratter les cordes, tous les enfants affichent un sourire XXL. Ainsi que leurs parents qui témoignent leur gratitude de ne plus avoir à subir de déchirantes versions d’Au Clair de la lune à la flûte et de voir leurs chérubins munis d’un instrument « à leur taille » pour accompagner leurs compositions vocales. En plus d’apprendre aux enfants des notions telles que le rythme, la mélodie, l’usage délié de ses deux mains, le ukulélé a aussi le mérite d’être une première étape vers l’apprentissage de la guitare, l’instrument le plus populaire de la musique occidentale.

Il ne reste plus qu’à espérer que du côté des écoles françaises, les professeurs de musique, le ministère de l’Éducation nationale, se laissent aussi séduire par un instrument qui a déjà su conquérir autant George Harrison, Paul McCartney, que Taylor Swift, Zach Condon (Beirut) ou Jimi Hendrix. C’est qu’il est parfois bon d’être reconnu par les plus grands, même lorsqu’on est un petit instrument.